Comme un lundi
Vous faisiez un rêve étrange.
Du moins, c’est le seul souvenir net que vous en gardez, à peine une minute après que la sonnerie rituelle du réveil programmé sur votre téléphone vous ait tirée du sommeil, vous laissant cet intervalle pour reconstituer votre réalité. Sept heures. Lundi matin. Votre lit. Votre mari allongé à vos côtés. Il s’appelle Alain. Vous avez deux enfants. L’école. Le travail. Tout le monde debout !
La suite – réveils, habillages, préparation du petit-déjeuner, rassemblement des affaires pour la journée – se passe vite et bien, toujours suivant le rituel matinal bien rodé. Presque trop bien, vous dites-vous en une réflexion un peu saugrenue. Les enfants paraissent un peu plus sages qu’à l’accoutumée, moins enclins à rester sous la couette ou à se disputer pour les céréales. Alain semble avoir oublié de faire sa tête du lundi matin, ne poussant même pas l’ombre d’un soupir au rappel que, comme chaque jour, c’est lui qui emmènera les enfants à l’école et les en ramènera ce soir – les distances de vos lieux de travail respectifs en ayant décidé ainsi. On dirait qu’ici ce matin, il n’y a que vous pour être parfois tentée de hausser le ton pour animer ce passage obligé – une tentation paradoxale, tant cette ambiance tranquille vous paraît, en même temps, le présage d’une excellente journée.
Enfin, c’est le moment de la séparation quotidienne au pied de votre petit immeuble de vieilles pierres ocres méridionales, dans une rue déjà bien embellie par les ombres de cette matinée de printemps. Après les baisers d’au revoir, Alain et les enfants vont marcher dans un sens de votre rue, vers les arrêts du bus scolaire et de celui qui emmène votre mari vers le siège du service social de votre commune de banlieue où il travaille. Vous seule marcherez dans l’autre sens, vers l’arrêt du bus qui relie cette commune et la ville-centre où se situe l’agence de publicité qui vous emploie.
C’est ainsi que commencent vos lundis, et tous vos jours de la semaine.
La seule chose qui vous tracasse vaguement en cet instant, c’est ce rêve étrange et désormais lointain, après les bribes duquel votre esprit courra encore un peu, avant de renoncer.