La narration polymorphe : un concept pour embrasser les récits à choix multiples, interactifs et immersifs
Dans le monde de la création narrative, il n’existe pas vraiment de terme universel pour décrire l’ensemble des œuvres qui reposent sur l’interaction avec le lecteur ou le joueur. Des livres dont vous êtes le héros aux visual novels, en passant par les fictions interactives et les learning games, chacun de ces formats permet de façonner une histoire unique, adaptée aux choix de celui qui la parcourt. Pourtant, chaque terme semble limité à une sous-catégorie spécifique et aucun ne couvre pleinement la diversité de ces récits évolutifs. Cela nous amène à poser une question essentielle : comment décrire une forme de narration qui dépasse ces genres particuliers, qui évolue, se transforme, et s’adapte à ses lecteurs ou participants ?
C’est ici qu’intervient le concept de « narration polymorphe ».
Le défi de nommer une diversité de récits
Les termes traditionnels comme « livre dont vous êtes le héros » ou « fiction interactive » sont souvent trop restrictifs. Ils évoquent des formats précis mais ne parviennent pas à saisir la diversité des œuvres actuelles, plus que cela, ils sont souvent associés à une culture et un public. Les visual novels, par exemple, sont ancrés dans une forme graphique spécifique, tandis que les learning games incluent des éléments pédagogiques. Or, ces formes narratives ont en commun une caractéristique clé : elles reposent toutes sur un principe d’adaptation et de choix, que le lecteur ou le joueur doit faire pour orienter le déroulement du récit.
Ainsi, face à l’émergence de formes narratives toujours plus variées, l’industrie, les créateurs, et les utilisateurs ont besoin d’un terme qui dépasse les limitations existantes, un terme capable de décrire à la fois des jeux éducatifs, des expériences immersives, et des récits visuels complexes.
Qu’est-ce que la narration polymorphe ?
Nous proposons le terme de « narration polymorphe » qui se veut une réponse à ce besoin. Il désigne tout récit capable de se transformer en fonction des choix et actions de celui qui y participe, qu’il s’agisse d’un lecteur, d’un joueur ou d’un apprenant. « Polymorphe », du grec « poly » (multiple) et « morphè » (forme), signifie littéralement « qui prend plusieurs formes ». Ainsi, un récit polymorphe n’est jamais fixe : il propose plusieurs trajectoires, plusieurs développements, et parfois même plusieurs conclusions, en fonction des décisions prises tout au long du parcours.
Cette approche est particulièrement pertinente à une époque où les formes narratives se diversifient. La narration polymorphe englobe des formats aussi divers que :
- Les « livres dont vous êtes le héros™ », où chaque décision du lecteur modifie la progression de l’histoire.
- Les fictions interactives modernes, qui offrent des embranchements complexes et des scénarios multiples.
- Les visual novels, où les dialogues et interactions avec les personnages influencent le développement de l’intrigue.
- Les learning games, qui combinent apprentissage et choix narratifs pour offrir une expérience à la fois ludique et éducative.
Ce que la narration polymorphe n’est pas
Toutefois, il est important de préciser ce que la narration polymorphe n’est pas. Elle ne couvre pas les récits linéaires ou rigides, où le lecteur ou le joueur n’a pas d’influence sur le déroulement de l’histoire. Par exemple, un roman classique ou un film ne sont pas des narrations polymorphes : leur progression est prédéfinie, sans possibilité d’adaptation.
De plus, un récit qui propose des choix, mais où ces choix n’ont aucun impact réel sur la trame, ne relève pas non plus de la narration polymorphe. Si chaque décision mène au même résultat final ou si les embranchements sont purement cosmétiques, l’histoire n’est pas réellement polymorphe, car elle manque de véritable flexibilité narrative.
Les éléments clés de la narration polymorphe
Pour qu’un récit soit qualifié de « narration polymorphe », il doit répondre à plusieurs critères :
- Variabilité des trajectoires – Le récit doit offrir des chemins différents, où chaque décision peut modifier le déroulement de l’histoire, menant éventuellement à des scénarios alternatifs ou des fins multiples.
- Réactivité narrative – L’histoire doit réagir directement aux choix du lecteur ou joueur, avec des changements visibles dans les personnages, les événements ou l’univers, qui témoignent de l’impact des décisions.
- Personnalisation de l’expérience – Le participant doit ressentir que son parcours est unique, façonné par ses propres actions, que ce soit à travers des dialogues modulables, des arcs narratifs spécifiques ou des interactions éducatives dans les learning games.
Conclusion : vers une nouvelle ère de récits adaptables
La narration polymorphe ouvre des possibilités infinies pour les créateurs et offre aux lecteurs et joueurs une expérience unique à chaque parcours. Elle n’est pas un concept nouveau, mais un terme qui transcende les formats traditionnels et permet de capturer la richesse des récits interactifs et immersifs d’aujourd’hui, qu’ils soient purement ludiques, éducatifs, ou artistiques. Alors que les technologies continuent d’évoluer et que les frontières entre les médias s’effacent, la narration polymorphe est sans doute appelée à devenir un pilier central de la création narrative du XXIe siècle.