Dans l’industrie du jeu vidéo, l’immersion du joueur est très recherchée et souvent associée à des graphismes réalistes, une IA complexe et une vision stéréoscopique à 360 degrés. Cependant, il ne faut pas oublier que l’immersion fictive dans les jeux vidéo ne repose pas seulement sur des équipements technologiques sophistiqués, mais aussi sur des récits et des personnages attachants. Dans la fiction interactive, l’immersion a plus à voir avec les personnages et l’intrigue du jeu qu’avec tout autre facteur; c’est le « personnage joueur » en particulier que nous allons évoquer ici, le « héros ».
Un certain nombre de chercheurs se sont penchés sur le rôle de la narration et des personnages dans la création d’une expérience immersive pour les joueurs. Il a été suggéré que l’immersion fictionnelle ne peut être étudiée qu’en termes de diégèse (l’histoire), de narration (l’intrigue) ainsi que de personnages afin de comprendre pleinement sa complexité.
C’est quoi l’immersion ?
Janet Murray explique l’utilisation métaphorique du terme « immersion », qui désigne le sentiment d’être immergé dans une autre réalité. L’immersion est abordée dans des domaines tels que la littérature, le cinéma et la psychologie, prenant diverses significations au fil du temps.
La cyberpsychologie définit l’immersion comme une illusion de la réalité tandis que la présence fait référence à son effet psychologique (se sentir transporté). Dans les études sur les jeux vidéo, deux sentiments distincts sont associés à l’immersion : l’absorption et le transport dans un autre univers.
Dominique Arsenault et Martin Picard ont identifié trois types d’immersion culturelle : fictionnelle, sensorielle et systémique.
L’immersion fictionnelle renvoie à l’idée d’entrer complètement dans une fiction telle qu’un livre ou un film ; c’est un excellent vecteur d’apprentissage pour l’engagement et la motivation en éducation. Elle peut être utilisée comme un vecteur d’apprentissage efficace.
L’immersion sensorielle consiste à stimuler les cinq sens par la scénographie, la reproduction sonore, la diffusion d’odeurs, le toucher des objets, etc., tandis que l’immersion systémique interpelle le visiteur en lui proposant des tâches qui suscitent des émotions.
L’immersion systémique s’appuie sur la connaissance et la maîtrise de règles/procédures afin de réaliser des actions qui provoquent des émotions chez le visiteur
Souvent, ces trois types sont combinés au sein d’une même expérience immersive.
Incorporation ? Incarnation ?
Gordon Calleja propose, lui, le terme « incorporation » pour décrire un état psychologique intense mais fragile et intermittent dans lequel la conscience du joueur et l’environnement du jeu ne font qu’un.
Ce phénomène est composé selon lui de deux éléments : l’assimilation du jeu dans l’esprit du joueur, ainsi que l’incarnation dans son univers.
Pour faire l’expérience de l’incorporation, il faut s’engager simultanément dans plusieurs dimensions du jeu, notamment l’engagement kinesthésique (maîtrise/internalisation des commandes), l’engagement spatial (familiarité avec la géographie), l’engagement narratif (intérêt pour l’histoire scénarisée généré par les actions), l’engagement affectif (émotions suscitées par le jeu), l’engagement ludique (objectifs poursuivis/choix effectués).
Si chaque dimension affecte l’immersion de manière indépendante, elles produisent également des effets combinés sur celle-ci.
Mais on peut aussi utiliser le terme d’incarnation , notamment dans l’écriture d’Aventure Dont Vous êtes le Héros (AVH) , car c’est bien de cela dont il s’agit : incarner le héros.
Cela nous amène à la vraie décision côté auteur : coquille vide ou héros caractérisé ?
Le héros c’est qui ?
Dans le cadre de l’écriture d’une fiction interactive, se pose immédiatement la question de la caractérisation du héros. L’enjeu est simple : que le lecteur ou le joueur ne décroche pas.
Autrement dit, si par mes clics et mes actions je fais évoluer le héros, qui est ce héros ? S’il ne me plaît pas, je quitte, l’immersion échoue.
Dans sa conférence de 2014, Jeremy Bernstein propose une vision éclairante des piliers caractérisant un héros/joueur. (https://www.youtube.com/watch?v=4mgK2hL33Vw)
Le personnage est pour lui : « Someone who wants something badly »
qu’on pourrait traduire par « quelqu’un qui veut quelque chose plus que tout »
Autrement dit, un personnage est avant tout l’expression d’une volonté dans une direction précise.
Il décrit 3 aspects fondamentaux d’un personnage de fiction :
- Unité de buts
« What do they want? » . Quels sont ses objectifs ? Cet aspect peut avoir plusieurs niveaux : Ce que le personnage veut en apparence, et ce qu’il veut en réalité.
- Unité d’actions
« What do they do to get what they want ? » . Quelles sont les actions et stratégies misent en place par le personnage pour atteindre ses objectifs.
- Unité de traits
« How do they seem » . A quoi ressemble-t-il ?
Ainsi, les écueils et points de rupture apparaissent :
- Si le lecteur/joueur ne partage pas, dés le début ou au fil du récit, les objectifs du héros.
- Si le lecteur/joueur ne ferait pas ce que le héros fait
- Éventuellement si le lecteur/joueur n’apprécie pas la description du héros.
Coller à la vitre ?
Il y a des degrés d’immersion.
L’objectif en tant qu’auteur n’est pas forcément de permettre une incarnation parfaite, mais avant tout d’éviter le décrochage du lecteur/joueur. Aussi, si le héros n’est pas incarné totalement, il peut être considéré par le lecteur symboliquement comme un partenaire, un coéquipier, avec qui il partage des valeurs, des objectifs et des façons d’y arriver.
Les actions proposée au lecteur doivent être cohérentes avec les objectifs du héros, sans quoi l’unité d’action est brisée.
Pour ce qui est des techniques permettant d’améliorer l’incarnation, une des piste est de créer de l’empathie du lecteur envers le héros. Cela peut se faire par le partage des pensées (ex: le héros fait par de ses perplexités et elles sont légitimes et cohérentes), le partage de ses secrets (le héros évoque un secret et donc créer un complicité avec le lecteur), partage ses émotions (le héros est légitimement ému de quelque chose), partage ses choix (le lecteur décide sur un choix d’actions cohérentes) et partage ses expériences.
En tant qu’auteur, finalement, une seule ligne : respecter la cohérence complète du personnage, le héros.
En conclusion, la création d’un héros pour une fiction interactive est une forme d’art. Elle exige une réflexion approfondie sur les objectifs, les actions et les traits de caractère du personnage afin que les lecteurs ou les joueurs soient attirés par l’histoire et s’immergent totalement dans leur expérience du jeu. En permettant aux lecteurs ou aux joueurs de s’identifier au héros à un certain niveau – soit en l’incarnant complètement, soit en partageant des valeurs et des expériences – les auteurs peuvent créer des histoires dont on se souviendra longtemps après les avoir terminées. Avec ces principes en tête, vous devriez maintenant vous sentir en confiance pour créer vos propres héros attachants pour tout type de projet de fiction interactive !